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L’ouvrage de D. Ackermann est un beau volume d’histoire, une étude scrupuleuse et complète à partir d’une documentation hétérogène et parcellaire. L’auteur publie dans ce volume le fruit d’une thèse soutenue à l’université de Neuchâtel en 2010 et largement remaniée pour présenter un travail scientifique abouti et mâture, bien au-delà de la « simple » publication de thèse. Le sujet, en partie inédit, en est l’histoire du dème d’Aixonè, l’une des subdivisions de l’Attique pour laquelle l’archéologue dispose de sources relativement abondantes et de nature variée, avec une concentration au IVe siècle av. n.è., susceptibles de permettre l’écriture de cette « microhistoire ». Si l’exercice fut pratiqué, et depuis longtemps, chez nos collègues historiens des périodes ultérieures, il n’est pas si fréquent chez les antiquisants qui disposent rarement des sources suffisantes pour décrire avec pertinence des entités géographiques, administratives et politiques à aussi petite échelle que celle du dème dans la cité grecque.

L’étude menée par D. Ackermann sur le dème d’Aixonè arrive en quelque sorte à point nommé dans un contexte scientifique et bibliographique favorable. Les dèmes de l’Attique sont parmi les subdivisions civiques les mieux connues dans le monde des cités grecques et la masse documentaire les concernant a considérablement progressé dans les dernières décennies en raison, entre autres, des grands travaux qui ont restructuré la péninsule : leur nombre est établi et la plupart sont localisés ; les inscriptions dont le nombre s’est considérablement accru depuis la synthèse de B. Haussoullier permettent d’en appréhender plus précisément la vie politique, économique, culturelle et religieuse.

Dans son introduction, D. Ackermann justifie le choix d’étudier plus particulièrement ce dème d’Aixonè, situé au sud de l’agglomération athénienne, sur la commune aujourd’hui très urbanisée de Glyphada, et qui « ne se distingue pas particulièrement des autres dèmes », en dehors de Rhamnonte et d’Éleusis, tous deux sièges à la fois de sanctuaires importants et de garnisons. Aixonè, parmi les dèmes « ordinaires », est celui qui a livré le plus d’inscriptions. En outre, sans avoir bénéficié de fouilles extensives en raison de son urbanisation moderne importante, sa topographie est relativement bien connue, grâce essentiellement à des fouilles de sauvetage : D. Ackermann a tiré de la lecture attentive des nombreux rapports de fouille une carte archéologique (figure 7a et b dont il faut chercher la résolution des légendes dans l’inventaire des vestiges archéologiques de l’annexe V) qui lui permet de préciser quelques traits du profil topographique du dème.

Le volume adopte un plan classique. Une première partie a été consacrée au « Cadre géographique, historique et archéologique ». D. Ackermann retrace d’une part l’historiographie de la localisation du dème et d’autre part, grâce à un recensement précis des vestiges archéologiques, l’histoire de l’occupation du site depuis la préhistoire jusqu’à nos jours, bien en deçà et au-delà donc de l’existence du dème en tant qu’entité politique et administrative. La seconde partie comprend quatre chapitres qui déclinent chacun les principaux aspects de la vie du dème antique : politiques, économiques, religieux et sociaux. Elle a été conçue à partir et autour des sources, plus exactement « au fil des sources » comme DA le revendique dans son introduction. L’auteur a renoncé en effet à présenter à part le corpus des sources (Elle donne seulement en annexe II le corpus des inscriptions funéraires). En particulier, les inscriptions les plus importantes et les mieux conservées apparaissent, avec tout leur appareil critique, ainsi qu’une traduction systématique, au fil des différentes thématiques traitées. Cette absolue primauté accordée aux sources est assumée et revendiquée par l’auteur comme méthode historique et la conduit à retracer cette microhistoire annoncée dans le titre de l’ouvrage, nécessairement focalisée sur le IVe siècle av. n.è., floruit des inscriptions en Attique, et lacunaire. Cependant le résultat n’est en rien réducteur : au contraire, la capacité de DA à situer les résultats obtenus à Aixoné dans le contexte plus large du champ disciplinaire concerné fait de certains chapitres des contrepoints très argumentés à des études ou bien déjà anciennes ou bien plus généralistes. L’autopsie attentive de la plupart des pierres lui a permis d’amender la lecture d’inscriptions publiées pourtant depuis longtemps et l’a conduit à proposer la révision de dates importantes (par exemple l’abolition de la chorégie et l’apparition de l’agonothésie à Athènes, cf. p. 134-143). Les aspects de la vie économique dans le dème d’Aixonè qui peuvent être décrits sont restreints à l’exploitation foncière déclinée en deux aspects distincts, l’un agraire (d’après un bail et un règlement sur les pâturages) et l’autre financier grâce à l’analyse d’une série d’horoi : quelques Aixonéens ont eux‑mêmes engagé leurs biens pour garantir un prêt hypothécaire ou une dot, d’autres apparaissent en dehors du dème comme créanciers, selon une pratique que D. Ackermann replace dans le contexte plus vaste du crédit hypothécaire et dotal bien connu en Attique (p. 262-267). La richesse épigraphique des sources relatives au dème d’Aixonè tient aussi à la présence parmi elles de deux inscriptions réglant certains aspects de la vie religieuse : le règlement stipulant les montants de la rémunération et de remboursements à verser à plusieurs prêtres (n°15), ainsi qu’un décret qui honore divers desservants du culte d’Hébè (n°16). Dans le dernier chapitre, D. Ackermann s’immisce dans le débat sur la démographie athénienne de manière convaincante, en raison encore de sa critique rigoureuse des sources : constatant raisonnablement qu’une estimation de la population du dème, y compris pour le seul IVe siècle av. n.è., le plus riche en termes de sources, était impossible, DA ne renonce cependant pas à toute étude de population, en concentrant son propos sur le nombre de démotes, qu’elle estime à 600 au IVe siècle, et en proposant une analyse des flux migratoires qui affecteraient le dème. Pour ce dernier point, DA fournit en Annexe II le corpus des monuments funéraires inscrits retrouvés sur le territoire présumé d’Aixonè et ceux des Aixonéens inhumés hors du dème : les constats précis que permet, entre autres sources, ce corpus corroborent de manière rigoureuse les hypothèses sur l’interaction importante entre dèmes ruraux et dèmes urbains en mettant au jour une circulation importante des personnes entre ville et campagne, au gré des nécessités de leurs activités politiques et économiques. L’ouvrage est en outre muni d’indices substantiels qui facilitent la circulation dans le volume entre sources et commentaire.

L’un des intérêts majeurs du livre réside dans le patient et minutieux travail de relecture accompli par D. Ackermann qui amende de manière appréciable un certain nombre d’inscriptions pourtant connues depuis longtemps. Ne cherchons pas dans cet ouvrage l’exposé de grandes thèses sur le fonctionnement administratif ou politique de la cité athénienne, ni non plus de prétentieuses théories sur la vie économique dans les dèmes de l’Attique, mais le lecteur curieux et l’historien nécessiteux y trouveront en revanche une documentation parfaitement établie, fiable et impeccablement traduite qui demeurera un outil de travail éminemment précieux.

 

Isabelle Pernin, Aix Marseille Univ, CNRS, CCJ,

Publié dans le fascicule 2 tome 123, 2021, p. 681-682