L’ouvrage d’iconographie monétaire à la lecture duquel nous invitons le lecteur rassemble les actes d’un colloque international organisé conjointement par les Écoles belge et française d’Athènes les 26, 27 et 28 septembre 2012 à Athènes. Afin d’en souligner les enjeux, l’événement a été dédié à Léon Lacroix dont Robert Laffineur rappelle (p. 19-25) combien ses travaux, pierre angulaire de l’archéologie numismatique, ont été précieux dans l’étude et l’interprétation des types monétaires. Cet hommage introductif est on ne peut plus approprié dans la mesure où, comme l’indiquent les organisateurs du colloque (p. 11), « the primary goal of the conference was to discuss and explore the methodologies of reading images on coins while putting in the foreground the role of the “actors” of the issuing process » dans l’Antiquité gréco‑romaine. Ce faisant, les 25 spécialistes de numismatique et d’iconographie monétaire invités à communiquer ont tenté de comprendre les mécanismes conduisant les autorités de l’époque, « nobles émetteurs », à choisir les types des monnaies dont elles ordonnèrent la frappe. Ils ont aussi cherché à savoir si les choix opérés tenaient compte des personnes, « humbles destinataires », amenées à se servir des pièces. Pour cela, le matériel utilisé embrasse une vaste région allant de la péninsule Ibérique aux confins orientaux du monde gréco‑romain, court de l’époque classique à la période impériale romaine, aborde enfin bien des sujets tels que la religion, la quantification monétaire, la glyptique et les effets de mode.
Divisé en sept grandes parties à la fois chronologiques et thématiques, l’ouvrage, enrichi de très utiles indices (de noms de personnes, géographique et thématique) et d’un fort cahier de planches de grande qualité, commence par une introduction de François de Callataÿ (p. 29‑56). Celui-ci y fait le point des connaissances actuelles sur l’iconographie monétaire grecque. Non seulement il rappelle l’importance de la discipline dans l’histoire de la numismatique moderne, mais il met l’accent sur les principales problématiques auxquelles les participants au colloque ont tenté d’apporter des réponses.
Comme pour montrer l’intérêt d’une telle entreprise, Vasiliki Penna et Yannis Stoyas (p. 59-74) tirent de la SNG, Greece 7, The KIKPE Collection of Bronze Coins I (Athènes, 2012) un lot de pièces rares, si ce n’est uniques, dont l’étude typologique permet d’en préciser l’origine géographique, la date d’émission, voire le contexte dans lequel elles ont été émises. À partir d’autres exemples, Maria Caccamo Caltabiano (p. 77-96) attire de nouveau l’attention sur l’ambitieux programme de recherche intitulé Lexicon Iconographicum Numismaticae Classicae et Mediae Aetatis (LIN). Lancé en 2000/2001[1], celui‑ci vise à créer un répertoire général des types monétaires antiques et médiévaux dans lequel sera donné, selon un langage iconographique approprié, le sens fondamental de chacun d’eux. Olivier Picard (p. 115-130) avertit à ce sujet que les images monétaires ne doivent pas être comprises seulement au pied de la lettre ou de manière préconçue, comme par exemple le portrait d’une divinité que l’on ne chercherait à expliquer que dans un cadre strictement religieux (dans le même esprit, cf. F. de Callataÿ, p. 39-40). Les types ont aussi un sens institutionnel dont les contours peuvent évoluer selon la région et la période dans lesquelles ils sont considérés. Maria Beatriz Borba Florenzano (p. 97-114) note pour sa part, exemples à l’appui, que bien des représentations monétaires, souvent perçues comme l’emblème (sèma) de ceux qui les ont choisies, gagneraient aussi à être sorties de ce présupposé.
Forte de cet outil et de ces mises en garde, Mariangela Puglisi (p. 143-172), mais aussi Panagiotis P. Iossif par d’autres biais (p. 269‑295), montrent notamment que les types apposés sur les monnaies de Sicile à l’époque classique et sur les pièces des rois hellénistiques (en particulier les exemplaires sur lesquels les portraits royaux sont parés d’attributs divins) doivent être mis en relation avec les soldats à qui ces frappes étaient le plus souvent destinées. S’intéressant aux types monétaires lagides et à leur réception, Thomas Faucher (p. 239‑253) note quant à lui que les images retenues, sensiblement moins nombreuses que sur les monnaies de Syrie, varient en fonction des métaux employés et donc des utilisateurs : les portraits royaux sur les pièces d’or et d’argent destinées à quitter l’Égypte, des images divines sur les bronzes demeurant dans la vallée du Nil. Anne Destrooper-Georgiades (p. 219-236) fait un constat similaire en étudiant l’atelier chypriote de Marion à l’époque classique : « les émetteurs se sont adaptés aux divers destinataires de leurs monnaies (…). Leur monnayage était compréhensible (…) grâce aux langues, écritures et images diverses qui figurent sur les frappes, et il était adapté à des usages multiples en fonction du métal utilisé et des dénominations » (p. 231). Ailleurs, tandis que Selene E. Psoma (p. 173‑187) s’intéresse aux types monétaires du roi des Odryses Sparadokos et à ceux de la cité d’Olynthe, que Sergei A. Kovalenko (p. 189-217) étudie les exemplaires produits dans les ateliers bordant le rivage nord du Pont Euxin, depuis Tyra jusqu’à Panticapée, Wolfgang Fischer-Bossert (p. 133-141) et Oliver D. Hoover (p. 255‑268) se consacrent aux monnaies d’imitation. Au premier nous devons une réflexion sur le véritable sens des quadriges, longtemps conçus comme des témoignages de victoire lors de concours, tels que représentés sur les monnaies de Sicile à l’époque classique. Avec le second, on s’interroge sur les raisons qui ont conduit leurs auteurs, à chercher bien souvent parmi les représentants du pouvoir central lui-même, à produire des pièces imitant les types monétaires séleucides. Enfin, Andrew Meadows (p. 297‑315) constate que les choix iconographiques opérés au IIe siècle a.C. dans de nombreuses cités grecques d’Asie Mineure occidentale l’ont été dans un contexte plus identitaire et communautaire que par le passé, bien loin des pratiques individuelles ou familiales observées au même moment à Rome.
À tous ces travaux, dédiés aux images monétaires grecques des époques classique et hellénistique, répondent des contributions portant sur des monnayages d’autres natures et d’autres périodes. Ainsi María Paz Garciá‑Bellido et José Ángel Zamora (p. 321‑339) s’intéressent-ils aux types utilisés dans les cités puniques du sud de la péninsule Ibérique et à leur interprétation souvent complexe. Dans le monde romain, plusieurs travaux portent sur l’identité des commanditaires à l’origine des types apposés sur les monnaies, soit (comme attendu) le pouvoir central, soit (plus original) des subalternes prenant des initiatives sans concertation préalable avec l’autorité de tutelle. Tel est ce que montre, par exemple, l’article de Bernhard E. Woytek (p. 355-387) sur les monnaies produites par des magistrats républicains dont les intérêts partisans peuvent l’emporter facilement sur ceux du plus grand nombre. Pierre Assenmaker (p. 389-406) fait des observations comparables en étudiant le monnayage des cités grecques faisant référence à Rome ou à ses représentants (en particulier ses généraux) aux IIe et Ier siècles a.C. Pour sa part, l’iconographie monétaire d’époque impériale profite de trois solides enquêtes. Grâce à Arnaud Suspène (p. 409-428), nous disposons d’une étude des influences iconographiques grecques (variant selon les périodes du principat) sur les monnaies romaines en métal précieux d’époque augustéenne. De son côté, Johan van Heesch (p. 429-445) s’intéresse aux programmes iconographiques mis en œuvre sur les pièces de bronze produites à Lyon et à Rome sous l’empereur Néron. Enfin, Yannis Stoyas (p. 447‑478) consacre sa contribution à un type monétaire particulier et au sens qu’on a bien voulu lui donner aux IIe et IIIe siècles p.C. : la traversée de l’Hellespont par Alexandre le Grand, telle que figurée sur les monnaies provinciales d’Abydos. Ce travail prolonge celui dans lequel Karsten Dahmen (p. 341‑351) donne « an overview on coins bearing Alexander’s image, their use by a number of Authorities in antiquity, some quite close to Alexander and his lifetime, other already distant in time and place » (p. 341).
Comme pour achever de convaincre le lecteur de l’intérêt d’étudier les types monétaires, les actes du colloque d’Athènes s’achèvent par une très intéressante comparaison des répertoires iconographiques utilisés sur des supports de natures différentes : les monnaies et les intailles. Tel est ce que proposent les textes de Dimitris Plantzos (p. 481-490) et de Laurent Bricault associé à Richard Veymiers (p. 491-513). Ces derniers s’intéressent plus spécialement aux types isiaques des monnaies d’Alexandrie d’Égypte émises aux IIe-IIIe siècles p.C. et que l’on trouve ensuite sur de nombreuses pierres gravées qu’il est ainsi possible de mieux dater. Leur enquête montre que la glyptique peut aussi influencer la numismatique même si les raisons pour lesquelles les motifs ont été choisis et les régions dans lesquelles monnaies et intailles ont circulé ne sont pas les mêmes.
Au final, par le nombre, la variété et la richesse des contributions qu’il abrite, TYΠOI marque de très belle manière le renouveau d’un sujet d’étude, l’iconographie monétaire, trop longtemps négligé ces dernières décennies (F. de Callataÿ, p. 32-34). À ce titre, il est le complément indispensable des actes d’un colloque organisé en 2012 à Tübingen sur le même thème et édité en 2014 par Stefan Krmnicek et Nathan T. Elkins sous le titre « Art in the Round » : New Approaches to Ancient Coin Iconography.
Fabrice Delrieux, Université de Savoie
Publié dans le fascicule 1 tome 121, 2019, p. 206-208
[1]. Cf. déjà nos remarques sur ce projet dans REA 109, 2007, p. 374‑375.