Cet ouvrage rassemble les communications présentées lors d’un colloque qui s’est tenu à Saint-Étienne et à Lyon du 27 au 29 mai 2013, sous le titre « La peur dans l’Antiquité ». Il rassemble vingt-sept communications, entourées d’une introduction et d’une conclusion, traitant de la peur dans l’Antiquité grecque et romaine, depuis le VIIIe siècle av. J.-C., avec Homère, jusqu’au Ve siècle ap. J.-C. ; il est pourvu d’une bibliographie finale pour l’ensemble des communications et d’un index des sources citées.
Cette publication s’insère dans les recherches actuelles sur les émotions ; Sandrine Coin-Longeray, co-éditrice du colloque, a ainsi publié en 2011 les actes d’un colloque, intitulé L’amour et la haine. Études littéraires et lexicales. L’introduction (p. 7-10) évoque rapidement des variétés de peurs actuelles et l’armature selon laquelle sont réparties les communications, qui croisent plusieurs approches, linguistique, littéraire, religieuse, anthropologique, médicale et historique. Les études traitent de divers aspects en rapport avec la thématique de la peur, justifiant le pluriel donné au titre, Peurs antiques, plutôt que le singulier qui avait été donné à la manifestation scientifique initiale, « La peur dans l’Antiquité » ; elles s’interrogent, en prenant en compte des contextes variés, sur l’expression et la perception de la peur, sur les formes, les causes et le traitement de la peur. La conclusion (p. 357‑359) souligne qu’un résultat notable des études menées dans l’ouvrage est que la peur apparaît surtout, d’après la nature des sources conservées prises en compte, sources écrites émanant de milieux cultivés, comme un enjeu de contrôle[1].
On peut regretter que l’introduction ne donne pas aux communications la perspective générale que l’on attendrait dans l’étude d’une émotion, qui selon les époques certes naît de diverses causes et prend diverses formes, mais qui n’en est pas moins, dans sa pluralité, une réalité psychologique universelle ; un lien aurait pu aussi être établi entre des communications touchant à des thématiques proches, mais réparties dans des chapitres différents. La publication doit être replacée dans le cadre général des recherches sur les émotions et sur la peur : depuis une vingtaine d’années, les chercheurs s’intéressent aux émotions comme à un objet d’histoire, faisant paraître à un rythme soutenu monographies et articles spécialement consacrés aux émotions[2]. L’Antiquité est elle aussi concernée par ce nouveau champ d’étude, surtout depuis la publication par David Konstan de son ouvrage sur les émotions des anciens Grecs[3]. Aristote, dans la Rhétorique, II 2-11, envisage les diverses passions par lesquelles peuvent passer les auditeurs et que l’orateur doit savoir exploiter pour persuader : la peur, avec son contraire, l’assurance, l’audace, figure parmi ces émotions. Si la colère et la jalousie surtout, auxquelles les orateurs font abondamment appel dans les plaidoyers, ont suscité récemment des études à caractère anthropologique et historique, la peur est restée quelque peu en retrait. La peur, que l’individu ressent à divers degrés d’intensité lorsqu’il prend conscience d’un danger, a été étudiée depuis la seconde moitié du XXe siècle surtout pour des époques postérieures à l’Antiquité, avec une étude comme celle, pionnière, de Jean Delumeau pour l’Europe chrétienne des Temps modernes[4]. Les éditeurs du colloque ne citent ainsi dans leur introduction qu’un seul ouvrage, à orientation anthropologique, consacré à une thématique en lien avec la peur dans l’Antiquité[5]. Les contributeurs pourtant citent telle monographie ou tel article, dont les orientations variées s’accordent à leurs propres préoccupations, philologiques et littéraires, mais aussi philosophiques et historiques[6]. Il nous semble qu’il aurait été utile de mentionner dès le début au moins quelques-uns de ces titres, de manière, sinon à retracer un parcours des recherches sur la peur dans l’Antiquité, car, en raison de la diversité des approches, il ne saurait être linéaire, du moins à placer le colloque dans un contexte général de recherche sur cette question. L’intérêt pour cette émotion, longtemps délaissée en histoire par rapport à d’autres car considérée comme peu valorisante, apparaît grandissant dans la recherche contemporaine sur l’Antiquité, pour elle-même et pas seulement en négatif du courage ou en association avec le sentiment de honte, dispositions qui peuvent lui être associées[7].
Les vingt-sept contributions, toutes de grande qualité sur le sujet retenu, sont réparties en sept chapitres. En raison de leur nombre, il n’est pas possible dans ce cadre d’examiner chacune en détail : seules sont présentées ici quelques remarques en rapport avec la thématique ou la visée du chapitre. Le chapitre I, sous le titre « Les noms de la peur », regroupe trois études consacrées à certains mots du vocabulaire de la peur, chez les auteurs romains, de Plaute et Térence à Cicéron et Tite-Live (J.‑F. Thomas, « Metuere-metus et timere-timor aux époques préclassique et classique, p. 13-23), chez les auteurs grecs archaïques (C. Semenzato, « Θάμβος : une frayeur étonnante. Parcours archaïque du VIIIe au Ve siècle avant J.-C. », p. 25- 39) et dans la lyrique chorale grecque (S. Coin-Longeray, « La peur dans la lyrique chorale : δέος, φόβος, τάρβος », p. 41-49).
Le chapitre II, « Peur et performances littéraires », rassemble des contributions sur la tragédie grecque (C. Plichon, « Sous le fouet de Pan », p. 53-62) et les romans grecs (M. Briand, « La peur (panique) dans les romans grecs anciens : effets descriptifs, narratifs, cathartiques », p. 63-74), et sur la poésie élégiaque ( F. Collin, « Entre pudor et pavor, tensions et peurs du regard amoureux dans les Amores d’Ovide », p. 75-90) et épique latine (S. Clément-Tarantino, « Les personnifications de la peur dans l’épopée latine, de Virgile à Stace », p. 91-107, et D. Vallat, « La peur dans les commentaires anciens à l’Énéide de Virgile : approches sémantiques, physiologiques et littéraires », p. 109-126). On remarquera, à propos du titre un peu étrange, que les « performances » littéraires ne se limitent pas seulement aux études réunies dans ce chapitre, puisqu’il est fréquemment question ailleurs du traitement stylistique de la peur par les auteurs anciens (par exemple, Paul François, p. 288-290), et aussi que le traitement épique de la guerre nous renseigne sur la violence agressive des combats et la peur que ressentent les guerriers en nous élevant à l’universel, au‑delà de la particularité de tel combat précis et finalement anodin. L’article de Caroline Plichon, centré sur le phénomène de la peur panique au sein d’une armée, en l’occurrence des soldats troyens qui gardent le camp, porte en totalité, ce que ne fait pas nécessairement apparaître le titre, sur le Rhésos attribué à Euripide, tragédie dans laquelle l’auteur voudrait reconnaître « une pièce placée sous le signe du dieu Pan » (p. 57). Caroline Plichon insiste ainsi sur la force motrice de la panique, qui met l’armée en mouvement (p. 60-61), comme le souligne Hector (κινεῖς στρατίαν, v. 18 et 38) : de cet ébranlement ponctuel qu’est ici, durant la nuit, l’éveil de troupes troyennes et de leur chef, on rapprochera le grand ébranlement (κίνησις) qu’est la guerre – et en fait peut-être toute guerre – qui, d’après Thucydide I 1, 2, touchant la Grèce et une partie du monde barbare, atteint la majeure partie de l’humanité. Plusieurs des contributions rassemblées dans ce chapitre évoquent, de manière plus ou moins approfondie, l’expérience, ou ce que l’on appelle maintenant le « ressenti », de la peur à la guerre à partir de sources poétiques, tragédie grecque et épopées latines, se reportant parfois à des textes d’historiens ou d’auteurs militaires (p. 52, 61) : on peut regretter qu’il n’en ait pas été tiré parti dans l’Introduction (p. 7-10) ou dans la Conclusion (p. 357-359) pour établir un pont avec des communications ayant principalement pour objet la peur à la guerre, au Chapitre VII, et fondées sur des textes d’historiens[8], d’autant que cette peur-là, et même si les techniques de guerre ont évidemment évolué depuis l’Antiquité, est toujours une peur actuelle et ne saurait figurer parmi les « peurs perdues » évoquées dans la Conclusion. C’est à propos des personnifications de la peur dans l’épopée latine, et ici dans l’Énéide, que Séverine Clément-Tarantino fait le rapprochement avec le célèbre et horrible duo de l’Iliade (4, 440 ; 11, 37 ; 15, 119 ; aussi 9, 2), Phobos et Deimos (p. 99-100), compagnons d’Arès et d’Éris : on rappellera que le couple homérique Deimos et Phobos, associé à Athéna (Il., V 739…) et à Arès (Il., XV, 119‑120…), ou Phobos seul (Il., XIII 298-303), se retrouve dans la guerre des dieux chantée dans la Théogonie hésiodique (v. 933‑937) ; dans la Paix d’Aristophane, Polémos, Guerre, inspirant la terreur aux personnages par sa seule présence (v. 236-288), n’a plus pour acolyte que son esclave Kudoimos, Tumulte, référence lointaine aux combats de l’Iliade (XVIII, 218…) et de la Théogonie (v. 925…)[9]. À propos de guerre toujours, avec certains commentaires anciens à l’Énéide qu’étudie Daniel Vallat, qui associent peur, en fait fuite, au combat et honte, et posent la question de la peur possible du héros, en l’occurrence Énée (p. 118-122), on rappellera le blâme porté par les cités grecques sur les lâches au combat[10] et l’exaltation dans l’Athènes classique du courage « démocratique », conforme à l’éthique héroïque grecque masculine[11].
Dans le Chapitre III, « Rhétoriques de la peur », sont réunies trois communications en étroite relation avec la rhétorique : D. Maggiorini, partant de la considération des pathè comme moyens de persuasion dans la Rhétorique d’Aristote, s’intéresse au personnage du lâche, le deilos, dans les thèmes de déclamation (« Funzioni retoriche della paura », p. 129-134) ; J. Goeken traite de « La peur de l’éloge », du Banquet de Platon aux Asclépiades, hymne en prose d’Aelius Aristide (p. 135-146) ; F. Le Penuizic s’attache à définir ce qu’est la peur dans les traités d’art oratoire romains, de la Rhétorique à Herennius à l’Institution Oratoire de Quintilien (« La peur dans les traités de rhétorique romains », p. 147‑159).
Les deux contributions du Chapitre IV, « Peur et pouvoir », portent sur des œuvres de Xénophon qui mettent en scène un gouvernant, l’un illégitime, un tyran (E. Biondi, « La peur du tyran dans le Hiéron de Xénophon : un cas de psychanalyse qui ne dit pas son nom », p. 163‑172), l’autre légitime, le roi Cyrus (H. Olivier, « La peur, puissance et tourment du gouvernant. Étude du sentiment de la peur dans la Cyropédie de Xénophon », p. 173‑186). Dans le dialogue du Hiéron, que l’auteur rapproche, pour l’analyse psychologique, de la réflexion de Platon dans les livres VIII et IX de la République, Xénophon place, en face du tyran sicilien de l’époque archaïque, le poète Simonide, auquel le tyran se plaint de n’être pas heureux, car il vit dans la peur. Ce sentiment qu’il éprouve, si fort que son existence en est gâchée, naît de la relation malade qu’il entretient avec les autres hommes : le manque de confiance entraîne le soupçon et la peur (p. 166). On retiendra ici, dans la ligne des remarques précédentes, la comparaison, pour le sentiment de peur, qu’établit le tyran avec la guerre : malgré les gardes qui le protègent, il se sent en permanence en danger, car il vit comme s’il était engagé dans une guerre. Dans le dialogue, selon Ennio Biondi, « est toujours présente l’image de la guerre comme métaphore de la condition existentielle du tyran » (p. 171). Dans l’histoire romancée que Xénophon consacre au conquérant perse, Cyrus expérimente les effets de la peur au combat, sur lui, ses hommes et les ennemis ; il réfléchit, et Xénophon avec lui, sur des guerres véritablement menées mais réinventées par l’écrivain, pour apprendre à contrôler la peur ou à s’en servir. Hélène Olivier remarque que souvent dans l’œuvre la peur est associée au découragement, l’athumia (p. 179) : on peut rappeler ici combien, dans la patrie de Xénophon, la prothumia, l’ardeur, était mise en avant comme une qualité essentiellement athénienne, et reconnaître dans cette association du phobos avec l’athumia l’attachement persistant de Xénophon, même dans sa vie d’exil, à cette spécificité revendiquée. Un rapprochement aurait été intéressant avec les Helléniques, à la recherche, dans les guerres contemporaines et bien réelles entre Grecs, d’une prothumia partagée par d’autres Grecs et, plus largement, de la mise en pratique par les chefs grecs des leçons politiques et de l’art du commandement acquis, en partie grâce à une méditation sur la peur, par le conquérant perse de la Cyropédie.
Une autre cause de peur, de nature religieuse, est étudiée dans les situations examinées dans le Chapitre V, « Religion et surnaturel ». É. Matricon-Thomas traite des inquiétudes religieuses des Athéniens, exacerbées au cours de la guerre du Péloponnèse (« La ‘peur des dieux’ à Athènes pendant la guerre du Péloponnèse : superstition et scrupules religieux », p. 189‑202). É. Buchet s’intéresse à la panique, non pas spontanée, comme vu plus haut (p. 53-74), mais ritualisée à Rome (« Mises en scène et remèdes de la panique dans les rituels romains », p. 203‑211), R. Loriol, à l’effroi provoqué à Rome par les prodiges, considérés comme des signes divins (« Stupeur et tremblements ? Les peurs des Romains devant les signes divins, sous la République et l’Empire », p. 213-228), M. Bologna, à la représentation de la sorcellerie chez les auteurs latins (« Erichtho et les autres. La peur de la sorcellerie dans la littérature latine », p. 229‑238). Enfin, T. Moreau traite des apparitions de la croix au IVe siècle, véritable bouleversement de l’ordinaire ; elle replace sa recherche dans le cadre des études historiques sur la peur dans l’Antiquité, liées, en contexte chrétien, à la peur de la mort (« La peur du signe. Les apparitions de la croix aux empereurs romains du IVe siècle », p. 239-248).
Le Chapitre VI est consacré aux peurs liées à la maladie, avec les contributions, appuyées sur des sources de nature variée attestant de l’omniprésence de cette peur, de R. Alessi (« Le médecin au chevet de ses patients. Peurs, simulations, fausses déclarations, mensonges, erreurs », p. 251-261), I. Boehm (« La peur au ventre. Conceptions galéniques de la peur », p. 263-269), et P. Diouf (« Algophobie et crainte des dieux dans la croyance populaire grecque : étude à travers les inscriptions votives des sanctuaires médicaux », p. 271-277).
Le Chapitre VII, enfin, est intitulé « Peurs de Rome », simplement parce qu’il renferme des études traitant de « peurs suscitées par Rome et [de] peurs ressenties par Rome » (p. 10). En fait, ces études se répartissent plutôt en deux groupes, le premier, avec quatre communications à orientation historique et anthropologique, traitant de la peur dans le contexte de guerres qui marquèrent Rome, les deux dernières traitant de problématiques liées à la période de l’Antiquité tardive. À propos du premier groupe de communications, on regrettera, si ce n’est la prise en compte, dans un chapitre dédié, de la peur spécifiquement liée à la guerre en contexte grec comme en contexte romain, du moins l’absence d’un « pont » avec certaines communications des Chapitres II et IV. Dans « Mixtos terrentium paventiumque clamores. La peur dans le récit livien de la deuxième guerre punique », p. 281‑300, P. François traite de manière approfondie de l’un des conflits les plus traumatisants pour les Romains et qui marqua le plus leur mémoire collective, dégageant, dans sa conclusion, la double fonction de la peur, « interne (chez les acteurs du conflit) et externe (pour l’auteur du récit et ses lecteurs) ». À propos des pages intéressantes sur la peur positive, p. 291-292, on pourra rapprocher les stratégies de Fabius Cunctator et de Périclès (cf. Thuc. II, 20-22), ainsi que leurs comportements envers leurs concitoyens en des circonstances dramatiques (Plut., Périclès, II 5). Paul François met en relief les réflexions de Tite‑Live concernant les causes de peur à la guerre, mais aussi les exploitations et manipulations de la peur « instrumentalisée » (p. 292-298) : ainsi est mentionnée cette peur universelle qui étreint les assiégés, sentiment que portaient sur la scène des tragédies grecques comme Les Sept contre Thèbes ou Les Phéniciennes, ou aux effets duquel voulait remédier Énée le Tacticien dans le contexte précis de la Grèce du IVe siècle. A. Kubler, dans « Pyrrhus et Hannibal : deux figures de la peur de l’ennemi à Rome ? », p. 301‑313, livre, sur ces deux grands personnages qui marquèrent la mémoire romaine, d’intéressantes remarques sur la transmission du ressentiment, de l’expérience vécue à l’intégration dans l’identité collective par la réactivation du souvenir de la peur, permise par des événements contemporains. Y. Le Bohec, « La peur du combattant pendant la guerre des Gaules (58-51 avant J.-C.) », p. 315‑324, partant des travaux de Charles Ardant du Picq et de John Keegan sur la peur du soldat à la guerre en général, analyse avec force et clarté, à propos du récit sur la guerre des Gaules écrit par César, les facteurs et les sensations de peur, les facteurs qui permettaient de lutter contre la peur ou de l’atténuer et enfin l’usage que les Romains faisaient de la peur contre leurs ennemis. F. Barrière, « Sic quisque pavendo dat vires famae (Lucain, Bellum civile 1, 484-485) : étude de la peur dans Rome à l’arrivée de César en 49 av. J.-C. », p. 325-338, met en évidence, à propos du motif de la peur à Rome dans les premiers mois de la guerre civile, traité par des sources tant grecques que latines, historiques que poétiques, l’existence d’une peur plurielle, « sentiment néfaste » ou « émotion utile ». Enfin, dans le second groupe de communications du Chapitre VII, F. Garambois-Vasquez, « La peur comme outil de propagande dans les poèmes politiques de Claudien : quelques exemples », p. 339-345, démontre l’usage rhétorique que le poète fait de la peur pour soulever son public contre les ennemis de Stilicon ; à l’extrême fin du IVe siècle aussi, non plus au sommet de l’État mais dans la vie des humbles, Dominique Bocage-Lefebvre, « La peur dans l’Antiquité tardive à travers les Natalicia de Paulin de Nole (395‑407) », p. 347‑356, dégage l’expression des peurs collectives en une époque troublée, en même temps que les peurs quotidiennes propres au monde rural, toutes peurs contre lesquelles Dieu seul, pour l’écrivain chrétien, constitue un rempart (p. 355).
Anne Queyrel Bottineau
[1]. On remarquera que les sources antiques sur la colère, émotion d’une certaine manière opposée à la peur, traitent souvent du contrôle de la colère : peur et colère peuvent être des émotions dévastatrices qu’il importe de maîtriser dans la vie collective. Sur la colère et son contrôle, voir W.V. Harris, Restraining Rage, The Ideology of Anger Control in Classical Antiquity, Cambridge 2001.
[2]. Pour une réflexion sur l’histoire des émotions, on pourra se reporter à Q. Deluermoz, E. Fureix, H. Mazurel, M. Oualdi, « Écrire l’histoire des émotions : de l’objet à la catégorie d’analyse », Revue d’histoire du XIXe siècle, 47, 2013, p. 155‑189. Viennent de paraître à l’automne 2016 les deux premiers tomes de l’Histoire des émotions, sous la direction d’A. Corbin, J.-J. Courtine, G. Vigarello, dont le premier tome, dirigé par G. Vigarello, couvre la période allant de l’Antiquité aux Lumières.
[3]. D. Konstan, The Emotions of the Ancient Greeks, Studies in Aristotle and Classical Literature, Toronto 2006. De nombreuses études sur les émotions dans l’Antiquité, souvent en rapport avec les orateurs, ont paru depuis : parmi les plus récentes, on signalera A. Chaniotis dir., Unveiling emotions : sources and methods for the study of emotions in the Greek World, Stuttgart 2012, notamment A. Chaniotis, p. 11-36, et E. Sanders, p. 151-174 ; A. Chaniotis, P. Ducrey dir., Unveiling emotions. 2., Emotions in Greece and Rome : texts, images, material culture, Stuttgart 2013 ; E. Sanders, Envy and Jealousy in Classical Athens, A Socio-Psychological Approach, Oxford 2014 ; E. Sanders, M. Johncock dir., Emotion and Persuasion in Classical Antiquity, Stuttgart 2016 ; et, plus large, I. Boehm, J.‑L. Ferrary, S. Franchet d’Espèrey, L’homme et ses passions : actes du XVIIe congrès international de l’Association Guillaume Budé organisé à Lyon du 26 au 29 août 2013, Paris 2016. Preuve de l’importance attachée à l’histoire des émotions dans l’Antiquité, une nouvelle série, « Emotions of the Past », est dirigée à Oxford University Press par Robert Kaster et David Konstan.
[4]. J. Delumeau, La Peur en Occident (XIVe‑XVIIIe siècles), Une cité assiégée, Paris 1978.
[5]. A. Serghidou dir., Fear of slaves, fear of enslavement in the ancient Mediterranean, Peur de l’esclave, peur de l’esclavage en Méditerranée ancienne (Discours, représentations, pratiques), Actes du XXIXe Colloque du Groupe International de Recherche sur l’Esclavage dans l’Antiquité (GIREA) – Rethymnon 4-7 novembre 2004, Besançon 2007, cité p. 3 n.9.
[6]. L’ouvrage de D. Konstan, op. cit., comporte une longue étude sur la peur, p. 129-155, dont plusieurs pages sur le sentiment de honte attaché à la peur. Dans l’ordre chronologique, qui montre l’intérêt ancien pour la peur dans les études proprement littéraires, on citera de manière non exhaustive, comme apparaissant dans les contributions et comportant explicitement une référence à la peur dans leur titre : J. de Romilly, « La crainte dans l’œuvre de Thucydide », Mélanges Carsten Hoeg, C&M 17, 1956, p. 119‑127 ; Ead., La crainte et l’angoisse dans le théâtre d’Eschyle, Paris 1958 [2011] (qu’on s’étonne de voir figurer dans la bibliographie finale à De, et non à Romilly) ; L.A. MacKay, « The Vocabulary of Fear in Latin Epic Poetry », TAPhA 92, 1961, p. 308-316 ; J. Harkemanne, « Phobos dans la poésie homérique », RecPhL 1, 1967, p. 47‑94 ; M.‑R. Guelfucci, « La peur dans l’œuvre de Polybe », RPh 40, 1986, p. 227‑237 ; J.‑F. Thomas, « Le vocabulaire de la crainte en latin : problèmes de synonymie nominale », REL 77, 1999, p. 216-233 ; R. Zaborowski, La crainte et le courage dans l’Iliade et l’Odyssée, Varsovie 2002 ; J. Trinquier, « Les loups sont entrés dans la ville : de la peur du loup à la hantise de la cité ensauvagée » dans M.-C. Charpentier éd., Les espaces du sauvage dans le monde antique. Approches et définitions, Besançon 2004, p. 86-118 ; D. Levystone, « Le courage et les mots de la peur dans le Lachès et le Protagoras », Phoenix 40, 2006, p. 346-363.
[7]. On signalera la tenue en mai 2012 à l’Université Paris-Sorbonne d’une journée d’étude intitulée « La peur dans la littérature latine et grecque », organisée dans le cadre de l’équipe EA 1491 par M. Ducos et S. Franchet d’Espèrey. Dans Unveiling Emotions, op. cit., A. Chaniotis consacre une étude à la peur des dieux, « Constructing the fear of gods : Epigraphic evidence from sanctuaries of Greece and Asia Minor », p. 205-234 ; dans Unveiling Emotions 2, op. cit., une étude est consacrée spécialement à la peur par M. Patera, « Reflections on the Discourse of Fear in Greek Sources », p. 109‑134 ; N. Kanavou, « ‘Negative Emotions’ and Greek Names », p. 167‑189, lui consacre les p. 178-180. On pourra voir aussi, dans une optique particulière, D. LaCourse Munteanu, Tragic Pathos: Pity and Fear in Greek Philosophy and Tragedy, Cambridge‑New York 2012.
[8]. Il s’agit ici de la première moitié au moins des contributions du Chapitre VII, « Peurs de Rome ». D. Vallat, p. 119 n.125, établit un rapprochement entre la volonté d’effrayer l’ennemi, dans l’Énéide, et les remarques faites par Y. Le Bohec à partir du Bellum Gallicum.
[9]. Qu’il me soit permis de renvoyer ici à mon article, « Note sur le mot ‘polemos’ : images et significations, de l’Iliade à Euripide et Aristophane », Études polémologiques 53, 2012, p. 15-68, ici p. 26‑34 et 54-60.
[10]. Voir M. R. Christ, The Bad Citizen in Classical Athens, Cambridge 2006, p. 45-142 sur le soldat déserteur et poltron.
[11]. Sur le courage « athénien », courage réfléchi qui prend la mesure du danger (Thuc. II 40, 3), courage propre à l’homme, par opposition à la femme et à l’esclave sujets à la peur, voir R.K. Balot, Courage in the Democratic Polis, Ideology and Critique in Classical Athens, Oxford 2014. Voir aussi R.M. Rosen, I. Sluiter dir., Andreia – Studies in Manliness and Courage in Classical Antiquity, Leyde-Boston 2003 ; J. Roisman, The Rhetoric of Manhood, Masculinity in the Attic Orators, Berkeley-Los Angeles-Londres 2005.