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Ce livre est issu de la thèse de doctorat en histoire, préparée par Irene Leonardis (dorénavant IL) sous la direction de C. Moatti et de M. De Nonno et soutenue le 21. 07. 2016 sous le titre « Ego unus scilicet antiquorum hominum : senso del passato e pratica antiquaria in Varrone » à l’Université de Paris 8 en cotutelle avec l’Università degli studi Roma Tre.

Ce qui frappe en premier est la personnalité affirmée de IL (ce n’est pas un défaut !). Elle utilise sans cesse, en effet, – beaucoup plus que ce qui est habituel en France dans les ouvrages de ce genre –, la première personne du singulier[1]; lorsqu’elle cite d’autres érudits qui ont écrit sur les sujets qu’elle aborde, elle n’omet jamais d’indiquer vigoureusement sa propre position, soit qu’elle adopte leur vision[2], soit qu’elle ne la partage qu’en partie[3], soit qu’elle s’en écarte[4]. Elle n’oublie pas de souligner son originalité, comme à la p. 219 n. 35 : « Uno studio di questo aggettivo e delle sue occorrenze, anche in Varrone, si trova già in Champeaux 1975, pp. 919-942. Qui approfondisco questo studio arrivando, però, a conclusioni differenti » ou encore p. 232 n. 89 : « A una conclusione simile giunge anche Evans 2008, p. 84 senza però offrire molti degli argomenti qui trattati a sostegno della tesi ».

Le point de départ de cette étude est la constatation que dans l’ouvrage de M. Terentius Varro Reatinus intégralement conservé (les Res rusticae) ou dans les parties complètes sauvegardées du De lingua Latina, de même que dans les fragments qui nous ont été transmis de ses nombreux travaux ou dans les testimonia à son sujet (car IL prend en compte toute l’œuvre du Réatin), cet auteur s’occupe beaucoup de l’Antiquité. IL s’est demandé s’il s’agissait, pour ainsi dire, d’une simple manie de collectionneur. Sa réponse est, en substance, que Varron (116 – 27 av. J.-C.) avait conscience de vivre une époque de bouleversements socio‑politiques dans une cité en crise culturelle et en crise d’identité, qu’il attribuait ce qu’il considérait comme une décadence à l’oubli par ses contemporains des valeurs du temps où Rome était florissante, et que sa pratique « antiquaire » était une réaction à cet état de fait, qu’elle avait pour but d’éviter la mort de l’Vrbs en rappelant l’histoire, les institutions politiques et religieuses, ainsi que les mœurs, qui avaient fait la grandeur de la Ville (ce qui constituait une incitation à retourner aux boni mores), montrant en outre que ces principes des anciens Romains étaient très proches de ce qu’avait développé de meilleur la réflexion philosophique grecque, dont il se montrait par ailleurs un parfait connaisseur. Le Varron « antichista », ainsi que le qualifie IL p. 10, se présentait donc comme une sorte de médecin pour sauver sa nation malade. Cette conclusion, il faut bien l’avouer, n’est pas vraiment nouvelle ![5] La nouveauté se trouve dans la manière dont IL y parvient et c’est par des arguments inédits ou dans la façon de conduire sa démonstration qu’elle innove. Celle-ci se déroule, entre l’introduction et la conclusion, en cinq chapitres comprenant eux-mêmes plusieurs parties et sous-parties, le tout cependant très clair grâce aux procédés de numérotation, aux titres et aux sous-titres, de même qu’à l’utilisation de divers artifices typographiques, matérialisation des changements de développement, caractères en italique, en gras, soulignés, y compris dans les citations pour mettre en lumière les mots importants, etc. Dans cette thèse de doctorat en histoire, IL se comporte naturellement en historienne, faisant appel pour information à de nombreux textes de Varron et d’autres témoins grecs et latins. Mais elle montre aussi une très bonne connaissance des doctrines philosophiques. Elle se révèle en outre une véritable philologue, car elle fournit tous les extraits en version originale accompagnée d’une traduction faite par elle-même ou par des savants reconnus ; elle pratique une lecture minutieuse, relève les termes qu’elle juge importants, recherche leur étymologie, les étudie du point de vue morphologique, sémantique, énumérant pour certains tous leurs emplois en latin[6], scrutant chez les écrivains qui les ont utilisés leur sens propre, leur sens figuré, leurs usages métaphoriques ; elle attache une grande importance à l’emploi des modes ; pour quelques verbes, elle va jusqu’à s’intéresser à leur hésitation entre forme active et forme déponente (ou moyenne en grec). Certes, lorsqu’il s’agit de fragments, conservés sans leur contexte, parfois de simples bribes au texte peu sûr, la chose est difficile, les analyses reposent sur de nombreuses hypothèses, les résultats sont extrêmement fragiles. IL en est tout à fait consciente et ne cesse de multiplier les formules de précaution, autant dans l’introduction[7] que dans le corps du développement[8] et dans la conclusion[9].

Pour bien suivre le fil conducteur du raisonnement de IL et voir ce qu’il a de novateur, le mieux est d’analyser les chapitres l’un après l’autre. L’introduction brosse un tableau rapide de la situation à Rome au Ier s. av. J.‑C., du « ressenti » probable de Varron et de sa réaction. IL cite plusieurs passages de divers auteurs attestant l’impression éprouvée par ces penseurs que les mots avaient changé de sens et que certains termes ne désignaient plus la même chose qu’autrefois (comme le déclare Caton pour liberalitas et fortitudo dans Salluste, Cat. 52, 11). Cela la conduit à annoncer la façon dont elle va mener son étude. Cette introduction est suivie fort opportunément d’une notice biographico-chronologique sur le Réatin mettant en évidence ses multiples facettes et la façon dont il a traversé indemne les tempêtes de son temps, une preuve de l’estime que lui portaient ses contemporains et, selon elle, de sa faculté d’adaptation aux contingences politiques du moment.

Le premier chapitre, « La giusta usanza secondo Varrone : definire il mos per salvare il Mos », offre un exemple de ces « vocaboli in crisi » évoqués dans l’introduction. IL y scrute la polysémie du terme mos en latin durant la période républicaine, et particulièrement ses occurrences chez Plaute et Térence. Elle examine ensuite ce qu’on lit au sujet de cette notion dans Verrius Flaccus, puis dans Cicéron, avant d’en arriver à deux définitions données par Varron conservées l’une par Servius, Aen. 7, 601, l’autre par Macrobe, Sat. 3, 8, 8-14. Elle compare alors les conclusions qu’elle en tire avec l’usage que fait le Réatin de ce substantif dans ce qui reste de son œuvre et la distinction qu’il établit entre mos et consuetudo, ce qui aide à comprendre la valeur qu’il conférait au mos maiorum et éclaire la finalité de ses recherches antiquaires.

Le deuxième chapitre, « Memoria e sapienza : meccanismi e crisi della memoria », part d’un certain nombre d’étymologies (reminisci, recordare, meminisse, memoria, monumentum/monimentum) du livre 6 du De lingua Latina pour en dégager la conception qu’avait l’auteur du fonctionnement et de la fonction de la mémoire. Au dire de IL, il distinguait la mémoire active, qui transmettait le savoir à l’esprit où il demeurait vivant et se conservait, de la répétition que, d’après elle, il désignait par ruminari. Après un bref exposé sur l’éducation à Rome et son utilisation de la répétition, IL consacre à ce verbe un long développement, modèle d’érudition quant au nombre d’écrivains convoqués chez lesquels elle traque avec sagacité les moindres indices corroborant sa thèse et où parfois elle pense découvrir l’influence de Varron dans des lignes où on ne l’avait pas remarquée jusqu’ici, et parangon de finesse quant aux analyses des passages commentés. Elle tente de démontrer, avec beaucoup de virtuosité, que Varron emploie ruminari au sens de « richiamare oralmente a la memoria »[10]. Après des aperçus sur ce que devait contenir à ce propos, selon son interprétation, la Satire Ménippée Sexagessis, IL conclut que le Réatin aurait ainsi diagnostiqué dans l’Vrbs contemporaine  une crise de la transmission de la mémoire antique cette dernière s’était transformée en simple répétition sans assimilation du message. Il aurait alors conçu ses œuvres majeures comme un remède à ce mal.

Le troisième chapitre s’intitule « L’autorità della memoria ». IL commence par identifier quelles étaient autrefois les « voix de l’autorité », (en insistant sur le fait que les canaux de la transmission du savoir ont été pendant longtemps uniquement oraux). Pour ce faire, IL consacre quelques pages à la potestas des pontifes, à la prudentia des juristes, à tous ceux qu’elle englobe sous l’appellation « gli oracoli della città ». Mais leur autorité déclina, surtout à partir du IIe s. av. J.-C., et leur savoir transmis de manière mnémotechnique de génération en génération cessa d’apparaître comme indispensable à la cité. Puis on commença à se rendre compte qu’une grande partie de ces connaissances s’était perdue. La mutation de la culture qui accompagna la conquête de la Méditerranée par les Romains, (celle-ci cessant d’être locale pour devenir universelle), joua aussi son rôle. À ce moment-là ce furent les érudits qui prirent le relais. Apparurent, en effet, des intellectuels, les « antiquaires », qui dédièrent leur activité à la redécouverte et à la fixation par écrit du passé. IL en étudie quelques-uns. Varron est l’un d’eux, mais IL montre longuement en quoi il se différencie de ces derniers. Il adopte une méthode généalogique, tant dans le domaine historique que linguistique. La tradition fournit‑elle des faits contradictoires ? Il les accumule et les concilie par approximation. Il conceptualise l’érudition basée sur les artes comme un instrument pour combattre la décadence romaine. Entre autres, elle se sert pour argumenter d’un passage des Soliloques de Saint Augustin (solil. 2, 35 = retract. 1, 4, 4) dans lequel elle croit découvrir la trace de Varron[11], ce que nul n’avait observé avant elle.

Ce principe d’approximation, IL y revient dans son quatrième chapitre « L’antiquaria come strumento gnoseologico : l’utilità della theologia civilis ». Le point de départ de ces pages est la fameuse théorie de la théologie tripartite qu’on lit chez Varron (theologia mythicè des poètes, theologia physicè des philosophes, theologia politikè ou civilis des institutions politiques) qui permettait à son utilisateur d’harmoniser les résultats de la réflexion philosophique avec les traditions religieuses « per approssimazione », dit-elle. IL y voit le fondement du projet antiquaire du Réatin. Il se proposait de retrouver par ce moyen rationnel la vérité sur le cosmos, étant donné qu’il professait l’existence, au début de l’humanité, de reges sapientes qui, connaissant l’essence du monde, auraient fixé en conformité avec elle des lois religieuses et sociales à la base des différentes civilisations (p. 16). IL voit un exemple de la pratique de cette « teologia “approssimativa” » dans les considérations varroniennes sur les Pénates. (On est très surpris que sur ce sujet ne soit pas cité le livre fondamental d’A. Dubourdieu[12], où de nombreux passages sont consacrés à ce que dit Varron de ces divinités). Pour finir, elle propose une interprétation personnelle de la Satire Ménippée Ἄλλος οὖτος Ἡρακλῆς qu’elle juge liée aux réflexions de l’auteur sur la difficulté du discours théologique. L’exercice est particulièrement hasardeux, vu qu’il ne reste de cette satire, – dont on ne connaît pas la date –, que le titre (qui est un proverbe très répandu), un fragment de cinq mots (gravidaque mater peperit Iovi puellum) et une allusion de Macrobe, sat. 3. 12. 5-6 : « (dans la Satire Ménippée de Varron intitulée Ἄλλος οὖτος Ἡρακλῆς) cum de Invicto Hercule loqueretur, eundem esse ac Martem probavit (sc. Varro) ». Mais IL déploie des trésors d’érudition et d’ingéniosité pour parvenir à ses fins !

« Le Antiquitates di Roma per ritornare ai boni mores » est le titre du dernier chapitre. IL commence par montrer la façon dont le Réatin se présentait comme « detentore dell’identità romana », statut que d’autres lui ont, d’ailleurs, reconnu. À partir du fr. 4 Mirsch du livre XX des Antiquités humaines, transmis par Nonius 688 pour illustrer sa glose antiquior melior, elle dédie une demi-douzaine de pages[13] à mettre en évidence la haute valeur que revêtaient pour lui dans tous les domaines les primigenia, c’est‑à‑dire les premières choses issues directement de la nature. Or, précisément, il est un domaine où il décelait encore des vestiges de l’existence originelle, et que pour cette raison il jugeait porteur de valeurs positives, c’est la vie rurale dont il traite dans les Res rusticae. Vu qu’il s’y réfère nommément à Dicéarque[14], IL expose d’abord la théorie de ce philosophe sur l’histoire de l’humanité, puis elle examine la reprise de ce modèle par Varron avant de considérer la comparaison qu’instaure ce dernier, dans les Res rusticae et dans d’autres écrits, entre vie à la campagne et vie en ville ainsi que la manière dont il affirme que la campagne conserve les dernières traces de l’âge d’or.

La conclusion énumère ce que IL considère comme des acquis novateurs de sa thèse ainsi que les idées varroniennes sur le passé qu’elle déclare avoir mises en lumière dans son livre ; en fait, certaines avaient déjà été reconnues depuis un certain temps (y compris que la Rome antique présentée par Varron ne correspond pas tout à fait à la réalité ; c’est une construction de la part de celui-ci, voire par moments une idéalisation). Il serait trop long d’entrer dans les détails pour chaque point. Je prendrai simplement un exemple que je connais bien. Ainsi, j’ai moi‑même parlé de la représentation du peuple romain comme malade et frappé par la vieillesse il y a près de trente ans dans une étude que IL ne cite pas, « Varron et la nation romaine »[15]. Dans cette étude, je montrais aussi comment on pouvait établir un parallèle entre l’ouvrage Les lieux de mémoire publié sous la direction de P. Nora[16] et la conception qui paraissait se faire jour chez Varron. Il est amusant de lire sous la plume de IL, lorsqu’elle évoque « le Antiquitates come lieu de mémoire » (p. 238) : « L’esame di questo aspetto innovativo della sua concezione antiquaria è qui soltanto impostato, ma potrebbe essere ampliato in studi successivi » ! Aux p. 239-240 (qui sont les deux dernières pages de son livre), IL écrit que « l’ideologia dell’autore […] doveva essere funzionale alla creazione di un modello positivo e paradigmatico per il presente in crisi ». On aurait aimé qu’elle ajoutât quelques lignes pour montrer comment l’action d’Auguste répondait à la pensée varronienne[17], ce qu’elle n’évoque nulle part.

L’ouvrage se termine par une riche bibliographie de 23 pages, un index locorum potiorum et un index nominum et rerum potiorum. Il n’est pas exempt de quelques fautes d’impression[18], surtout dans les noms propres (« Mointagne » au lieu de « Montaigne » p. 61 ; « Cardaluns » au lieu de « Cardauns » p. 196 ; « Chaintraine » au lieu de « Chantraine » p. 241, etc.).

Le « senso del passato e <la> pratica antiquaria » que décrit IL font du Varron dépeint dans son étude un intellectuel savant et froid qui observe la Rome où il vit, en diagnostique les maux, réfléchit à la façon de les guérir, utilise pour cela son érudition et ses connaissances philosophiques. Elle oublie totalement, semble‑t-il, la dimension affective. Certes Varron est un être pudique qui ne manifeste pas beaucoup ses émotions[19]. Même pour un homme de l’Antiquité – où le « moi » n’est pas spécialement mis en avant – il est très réservé. Cependant on peut deviner des traits de sa sensibilité. IL, qui, à juste titre, a scruté avec beaucoup de minutie le vocabulaire utilisé par l’écrivain, les étymologies qu’il en propose, la signification qu’il lui confère, aurait dû s’intéresser à la façon dont il parle du passé. La dimension affective et ses émotions se révèlent par exemple dans son style. C’est ainsi qu’il utilise des particules exclamatives : par ex. dans la Ménippée Sexagessis (fr. 488 Ast) après avoir déclaré que par le passé à Rome des gens pleins de pudor vivaient parce pureque, il ne peut s’empêcher de s’écrier en patriam ! Il est utile de regarder comment il désigne les premiers Romains. Dans le De lingua Latina qui se veut une étude linguistique, par conséquent technique, le vocabulaire utilisé est assez neutre (antiqui, adjectif ou substantif 18 fois, ueteres 2 fois). Les formes déclinées de priscus se rencontrent 6 fois (dont une fois le nom de peuple Prisci Latini)[20]. Veteres est précisé par nostri en ling. 5. 98 ; on lit antiquis nostris en 6. 58 ; en ling. 5. 5 apparaît l’expression maioribus nostris. On repère environ 11 fois soit l’adjectif noster, soit sa forme substantivée nostri. Certes, parfois nostri s’oppose à Graeci, mais Varron aurait pu employer Romani aussi bien. Ce qui est symptomatique, c’est que noster tantôt renvoie aux contemporains de l’auteur (ling. 6. 40 memoria nostra, par exemple), tantôt aux anciens Romains. C’est un indice infime, mais on décèle dans ces emplois la volonté de souligner un lien, de marquer l’appartenance à une communauté qui englobe passé et présent sans solution de continuité. C’est également maiores nostri qu’on trouve dans le Logistoricus, Atticus. Les données des Antiquités, du De Vita Populi Romani et du De Gente Populi Romani sont difficiles à utiliser dans la mesure où on ne peut pas toujours déterminer quels termes sont de Varron et quels termes sont de l’auteur qui l’évoque. C’est ainsi que pour les Antiquités divines, les fragments se référant au thème du passé étant constitués par des opinions varroniennes rapportées au style indirect, on ne sait de qui sont les mots utilisés. Il en va pratiquement de même pour les Antiquités humaines, sauf peut-être en ce qui concerne le fr. XX 90 Semi où on lit dans les codd. : secundum leges habitasset patritas, bribe sauvegardée par Nonius 161 pour illustrer sa glose patritum ut auitum. Je citerai pour le De Vita : antiqui Romani (fr. 27 Rip), antiquae mulieres (fr. 39 Rip), apud antiquissimos (fr. 52 Rip), antiquissimi (fr. 57 Rip), laudes maiorum (fr. 84 Rip), mais apud maiores nostros (fr. 38e Rip) comme en De Gente fr. 21 Frac maiores nostros. Finalement, c’est dans les Res rusticae et dans les Satires Ménippées qu’affleure le plus la sensibilité varronienne. Cela, en fait, n’a rien d’étonnant, car dans ses Ménippées, même s’il reprend quelquefois les développements topiques du genre satirique, l’écrivain « se lâche » et n’adopte pas la même attitude que dans des ouvrages « scientifiques ». Quant aux Res rusticae, dont l’auteur dit lui-même qu’il a quatre-vingts ans lorsqu’il écrit la préface du livre 1, le recueil est d’un genre difficile à définir, certes, entre autres[21], didactique, cependant basé dans certains cas sur l’expérience personnelle, mais aussi en grande partie satirique, toutes caractéristiques qui expliquent que Varron s’y laisse voir davantage. C’est ainsi que dans cette œuvre, à côté des antiqui, maiores ou maiores nostri, et des nostri tout court que nous avons déjà relevés ailleurs et de Prisci Latini en rust.  2. 4. 10 ainsi que lingua prisca[22] (rust. 3. 1. 6), on rencontre ut dicere didicimus a patribus nostris (rust. 1. 2. 1), patres et auos nostros (rust. 1. 2. 1), patres nostros (rust. 2. 4. 3), auos ac proauos (rust. 3. 2. 6), tritaui nostri (rust. 3. 3. 2) où apparaissent des termes marquant des liens de parenté[23]. On notera un usage similaire dans les Ménippées : à côté de la formulation apparemment[24] « neutre sentimentalement » priscus homo ac rusticus Romanus (fr. 186 Ast), on lit maiores nostri (fr. 11 Ast), antiqui nostri (fr. 524 Ast), aui et ataui nostri (fr. 63 Ast), auito ac patrito more (fr. 258 Ast), patres nostri (fr. 320 Ast). Définissant la patrie, Varron écrit en Lex Maenia fr. 235 Ast : patriam, maiorem parentem. Cet aperçu, si bref soit-il en raison des contraintes du genre de la recension, révèle combien Varron avait le sentiment d’appartenir à une famille. Aussi est-ce autant l’affection familiale que le jugement de l’expert qui caractérise son « senso del passato » et explique sa « pratica antiquaria » !

Lucienne Deschamps, Université Bordeaux Montaigne,, UMR 5607, Institut Ausonius

Publié dans le fascicule 1 tome 122, 2020, p. 349-355

[1]. Par ex., p. 15 « nel terzo capitolo mi occupo… », p. 17 « nella conclusione segnalo… », p. 18, « Ho ritenuto necessario premettere una breve notizia biografica… », passim « a mio avviso », etc.

[2]. Par ex., p. 213 n. 10 : « Seguo l’interpretazione proposta da Cèbe nella sua edizione : Cèbe 1985, 7, pp. 1156-1160 ».

[3]. Par ex., p. 11 n. 8 : « Sulla satira si veda l’interpretazione di Leonardis 2014, che si discosta in parte da Cèbe 1998, 12, p. 1904-1941 ».

[4]. Par ex. p. 74 n. 60 : « Mascoli 2013, trattando proprio questo tema, trascura però la fonte costituita da Filone : per questa e per altre ragioni, la mia discussione porta a conclusioni differenti rispetto a quelle della studiosa » ou p. 193, à propos d’un argument de J. Pépin, « Tale argomento non mi sembra affatto decisivo ».

[5]. Une voix discordante est celle de K. Volk, « A Wise Man in an Old Country : Varro Antiquitates rerum diuinarum and [Plato], Letter 5 », RhM 159, 2016, p. 429-433. S’appuyant sur divers passages des livres 4 et 6 de la Cité de Dieu de saint Augustin et sur la comparaison avec la lettre 5 faussement attribuée à Platon, K. Volk affirme que Varron a pour but, au moins dans les Antiquités divines, de décrire la situation romaine et nullement de changer les choses ou de découvrir une vérité cosmologique. IL ne cite pas les travaux de K. Volk ; si lorsqu’elle a soutenu sa thèse en 2016, elle ne pouvait sans doute pas connaître cet article, elle avait la possibilité de le consulter ensuite puisque son livre n’a été publié qu’en 2019.

[6]. Par ex., elle utilise beaucoup le Thesaurus linguae Latinae et l’Oxford Latin Dictionary.

[7]. Par ex., p. 12 : « dall’analisi dell’opera varroniana, seppur complessa e obligatoriamente ipotetica in virtù del suo statuto frammentario, cercherò di rilevare… »

[8]. Passim : emploi du conditionnel, d’expressions du type  « doit être… », « vraisemblablement », « probablement », etc.

[9]. Par ex., p. 217 : « La ricostruzione qui proposta del pensiero di Varrone riguardo al passato e della sua pratica antiquaria è chiaramente ipotetica perchè basata su dati parziali ».

[10]. P. 94 (les italiques sont de IL).

[11]. P. 165 : « Nel seguente estratto dei Soliloquia credo si riprendesse un passo di Varrone ».

[12]. Les origines et le développement du culte des Pénates à Rome, Rome 1989.

[13]. Dans ces pages IL aurait dû insister clairement sur le fait que Varron n’était pas le seul à attribuer le sens de « meilleur, préférable » à antiquior, antiquius. On trouve cette signification au moins à une dizaine de reprises chez Cicéron. Et on la rencontre de nombreuses fois chez d’autres écrivains (voir Bannier, art. antiquus dans ThlL vol. II, fasc. 1, p. 180, lignes 9-53 sous la rubrique « Qui antefertur, gravis, laudabilis »). Dans A. Ernout, A. Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine, Paris 19594, on peut lire à propos d’antiquus (art. ante, p. 36) : « une trace de la valeur locale subsiste au comparatif : antiquior au sens de “préférable” repose sur le sens propre “qui est plus en avant” », avec des exemples, notamment de Cicéron.

[14]. Par ex. en rust. 1. 2. 16, ou encore en rust. 2. 1. 3.

[15]. L. Deschamps, « Varron et la nation romaine » dans L’imaginaire de la nation (1792‑1992). Actes du Colloque Européen de Bordeaux. Textes réunis par C. G. Dubois, Bordeaux 1991, p. 61‑71 (le passage sur l’assimilation de l’état romain à un individu malade se trouve p. 62). Voir aussi L. Deschamps, « Le pouvoir à Rome, son fondement et ses crises, vus par Varron de Réate » dans Pouvoir des hommes, pouvoir des mots, des Gracques à Trajan. Hommages au Prof. P. M. Martin, O. Devillers et P. Meyer éds, Paris‑Louvain 2009, p. 253‑263 (passim), non cité par IL.

[16]. Les lieux de mémoire, sous la direction de P. Nora, tome I La République, Paris 1984 ; tome II La Nation, Paris 1986.

[17]. Voir, par ex., J.-P. Cèbe, Varron, Satires Ménippées, 1, Rome 1972, p. 81 : « Varron […] se figure que tout s’arrangerait si, par quelque magique retour en arrière, les Romains restauraient le mode de vie équilibré des maiores. Utopie, assurément, mais n’oublions pas que cette utopie commanda pour une large part la politique d’Auguste » et J.‑P. Cèbe (ibid. n. 3) de citer H. Dahlmann, « Zu Varros Literaturforschung besonders in “De poetis” » dans Fondation Hardt, Entretiens IX, Vandœuvres‑Genève 1962, p. 4 : « on ne peut insister assez sur le fait que sans lui (Varron) la renouatio augustéenne aurait été inconcevable » et de commenter « elle dépend en fait beaucoup plus de lui que de Cicéron à qui on en attribue souvent presque tout le mérite ».

[18]. Le premier exemple est tout au début à la première page du sommaire où il faut lire « Varrone (I) : il Mos è un oggetto di consenso in uno spazio specifico » (et non « il Mos è oggetto di un oggetto di consenso »). D’autres erreurs apparaissent passim : le génitif du nom de l’auteur Nonius Marcellus ne peut pas être « Nonii Marcelii » comme il est écrit p. 244. ; dans la bibliographie p. 259, le livre correspondant à l’abréviation « Rolle 2017 » est indiqué comme publié en 2019 – en réalité, la date exacte est 2017 – ; le titre de l’ouvrage de F. Wehrli est Die Schule des Aristoteles (et non Aristotels comme on lit p. 262) ; etc.

[19]. Voir L. Deschamps, « Le paysage sabin dans l’œuvre de Varron », Humanitas 37-38, 1986, p. 127-128 (article que IL ne cite pas).

[20]. IL ne parle nulle part de priscus.

[21]. Il ressortit aussi au genre de la comédie, au dialogue philosophique, etc. Voir L. Deschamps, « De genere operis M. Terenti Varronis Reatini quod “Res rusticae” inscribitur » dans Loquela Vivida. Donum natalicium N. Sallmann oblatum, J. Blänsdorf ed. Würzburg 1999, p. 21-28 (non cité par IL).

[22]. Il s’agit de langue antique grecque et sabine.

[23]. IL fait allusion à ce vocabulaire, mais à propos d’un autre sujet : les recherches pour lesquelles Varron adopte une méthode généalogique.

[24]. Cette neutralité affective n’est peut-être qu’apparente. En effet, J.-P. Cèbe, (Varron, Satires Ménippées 5, Rome 1980, p. 875), comprend : « Rusticus Romanus développe et précise priscus homo, si bien que, dans notre exemple, cette conjonction » (sc. ac) « correspond pratiquement à un “c’est-à-dire” » ; il y aurait beaucoup à gloser sur cette assimilation varronienne d’un « homme de jadis » et d’un « Romain de la campagne » (trad. Cèbe, ibid., p.833), sans compter que priscus développe des connotations particulières (il est lié non seulement à des idées d’ancienneté – parfois quelque chose d’ancien qui n’existe plus dans le présent –, mais aussi de façons de vivre austères et vertueuses, et son utilisation traduit de l’admiration, voire de la vénération, voir Parker, art. priscus, dans ThlL vol X 2, fasc. 9, p. 1372-1377). Curieusement IL n’a pas relevé ce fragment – qui pourtant était de première importance pour le sujet qu’elle traitait – et, par conséquent, ne le commente pas. Le neutre pluriel prisca figure également dans le fr. 326 Ast de la Satire Ménippée Mysteria.