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Du 3 au 5 mai 2007 s’est déroulé à Barcelone un colloque ayant pour titre « Poetae Latini minores ». Le présent volume en offre les communications, non telles qu’elles ont été prononcées, mais après leur réélaboration à la suite des discussions que ces conférences ont suscitées, d’où le délai de publication. Les choses un peu plus petites » (paulo minora) étudiées ici sont les poèmes dont l’auteur et époque sont incertains, poèmes dont un bon nombre est regroupé dans l’Anthologia Latina, les poèmes dont l’auteur est connu mais dont ne nous reste plus que des fragments, comme ceux de Licinius Calvus, ou les poèmes dont l’auteur ne figure pas dans la liste des grands poètes romains, comme le livre X sur les jardins dans l’ouvrage sur l’agriculture de Columelle, poèmes ludiques, les inscriptions funéraires vers, etc. Les deux premières contributions se penchent sur la façon dont nous sont parvenues Tmuvres. A. Coroleu dans « La poesía latina menor en el Renacimiento », p. 1-15, fait un survol historique de l’activité érudite concernant recueils de l’Anthologia Latina et des Poetae Latini minores aux XVI e et XVII e et montre que éditions du XVIII e et du XIX e n’auraient pas possibles sans les travaux des humanistes français et italiens de la Renaissance. F. Socas Desguace y restauración de la Anthologia Latina », p. 17-48) scrute l’histoire de la constitution de ce qu’on appelle l’Anthologia Latina, des différentes éditions qui ont vu le jour jusqu’à aujourd’hui et termine par des conseils pour qui veut se lancer dans l’aventure. Après présentations générales, les contributions sont consacrées à des Tmuvres ou à des problèmes particuliers. Ainsi, dans « Poetae Latini minimi », p. 49–70, X. Ballester s’intéresse à écrivains qu’il qualifie de « minuscules » minimi) par jeu de mots avec minores, non en raison de leur valeur mais à cause de la modicité de ce qu’il en reste. Il examine avec beaucoup d’acribie philologique (comme l’écrit J. L. Vidal, p. VI) des exemples de fragments transmis indirectement ; ses réflexions et ses propositions très séduisantes laissent se dégager une méthodologie pour ce genre de travail. De même, à partir d’exemples précis, très finement analysés, R. Carande Herrero met en évidence l’importance de regarder sérieusement les données prosodiques et métriques pour l’établissement du texte des fragments et leur interprétation (« Problemas métricos en la edición de la poesía fragmentaria », p. 71-89). « ¿Era Licinio Calvo un poeta menor ? Una aproximación de historia literaria inmanente », p. 91-120, est un travail tout à fait novateur de J. C. Fernández Corte. Après avoir fait l’historique des études sur Calvus, l’universitaire de Salamanque lit à la lumière de la phénoménologie les témoignages sur Calvus qu’on trouve dans Catulle, dans Cicéron et dans des auteurs postérieurs, cette réception constituée par un réseau de jugements et d’affirmations de la part de contemporains ou de successeurs, la littérature immanente. Cela le conduit à émettre de multiples hypothèses nouvelles et pour terminer celle que dans l’expression d’Ovide (Tr. 2, 431) l’adjectif exiguus appliqué à Calvus évoquerait la taille des écrits de ce dernier autant que sa stature. C’est à cause de cette exiguïté — voulue par l’atticiste qu’il était — que Calvus serait un poeta minor et que son Tmuvre n’aurait pas été conservée intégralement. En appendice J. C. Fernández Corte joint fort opportunément les textes qui révèlent quelles étaient les relations du poète avec ses contemporains et quelle a été son influence, ainsi que tous ses fragments subsistants et les passages parallèles. Au début du XIX e , on a commencé à se demander si la quinzième Héroïde d’Ovide, la lettre de Sappho à Phaon, n’était pas apocryphe. Après un rapide état de la question, A. Ramírez de Verger, spécialiste bien connu du Sulmonais, en démontre l’authenticité (« La carta de Safo a Faón (epist. 15) : ¿ Ovidiana o pseudo-Ovidiana ? », p. 121-135) en étudiant les références à cette épître chez Ovide lui-même, chez les grammairiens antiques et chez Ausone, puis en rappelant les problèmes de transmission manuscrite. Pour finir il passe en revue les anomalies alléguées et les réfute ou les explique. M a . C. Álvarez Morán et R. M a . Iglesias Montiel s’intéressent, quant à elles, aux Élégies pour Mécène (« Algunas precisiones sobre las Elegiae in Maecenatem », p. 137-165). Après avoir fait état du status quaestionis à propos des multiples problèmes que posent ces deux poèmes, elles analysent divers passages du premier mettant en évidence des réminiscences de textes ovidiens, appartenant en particulier aux Métamorphoses, ce qui les conduit à avancer l’hypothèse que les Élégies pour Mécène auraient été composées par un rhéteur aux environs de 10 de notre ère, peu de temps après que furent diffusées, plus ou moins clandestinement, les Métamorphoses. C’était un exercice rhétorique destiné à louer la façon de vivre dont avaient joui les grands poètes augustéens et leur protecteur. Il se peut que l’auteur ait voulu faire savoir que face à ceux qui dès la mort de l’éminence grise d’Auguste s’étaient mis à critiquer sa vie et ses mTmurs, c’est-à-dire le parti de Tibère, il y avait des gens d’un avis opposé. C’est le poème de Columelle sur les jardins qui a retenu l’attention de J. I. García Armendáriz dans « Los huertos de Columela, en prosa y en verso », p. 167-199. Ici encore, notre collègue fait le point sur les travaux de ses prédécesseurs avant de se livrer à une lecture minutieuse du livre X de l’agronome latin qui, comme chacun sait, traite de l’horticulture en vers. Il suit le texte partie par partie en le comparant, entre autres, aux passages sur le même sujet qu’on lit en prose au livre XI et met ainsi en lumière les traits spécifiques que lui confère le traitement poétique. Au-delà de l’influence virgilienne déjà souvent relevée, à partir de divers indices finement observés et subtilement analysés, notre collègue décèle l’originalité de ce carmen où le jardin est à la fois réel et convention poétique, où le jardin chanté peut représenter le poème qui le chante. C’est une édition nouvelle de La Veillée de Vénus accompagnée d’une présentation, d’un commentaire, de notes de critique textuelle et d’une traduction originale en octosyllabes que donne à lire « El Pervigilium Veneris : caracterización del poema, notas textuales y traducción » de V. Cristóbal, p. 201-229. Pour des raisons énoncées p. 207, notre collègue pense que ce poème n’est pas antérieur au IV e s. de notre ère. Dans l’établissement du texte, il privilégie le plus souvent ce qu’a transmis la tradition et justifie tout à fait pertinemment ses choix. Il souligne l’hypertextualité de cet écrit et insiste sur sa valeur comme rituel. Il explique le vers qu’il a utilisé pour traduire par le fait que, selon une théorie très répandue, l’octosyllabe espagnol serait issu, via les hymnes de l’église, du tétramètre trochaïque catalectique (qui a servi pour le Pervigilium). Sa version est plus longue que son équivalent latin (120 vers contre 93) et parfois ne le suit pas de très près (par exemple, Dione des v. 7 et 11 est rendu par « Venus », les temps des verbes ne sont pas toujours exactement respectés, etc.), mais dans l’ensemble, c’est une réussite qui exprime bien la signification, l’atmosphère et le charme de sa source. A. Alvar Ezquerra étudie les « Technopaegnia Latinos », p. 231-261. Il définit le sens de cette appellation, son utilisation en latin, montre en quels temps ce type de composition fleurit et répertorie les divers genres de poèmes se rattachant à ces jeux dans la littérature romaine de l’origine au Ve s. de notre ère. Cette analyse de ce qu’à première vue on pourrait prendre pour des amusements de grammairiens désoeuvrés conduit à des réflexions pourtant importantes : les conventions ludiques, exacerbées dans les technopaegnia, ne sont-elles pas dans leur état basique le point de départ de toute versification ? Dans les langues omanes, le nombre fixe de syllabes de certains vers, l’usage de rimes ne sont-ils pas apparentés à ces exercices de divertissement ? La dernière contribution, « Vergilius a minore : una lectura epigráfica del final de la Eneida », p. 263-292, part de certains carmina Latina epigraphica, ceux utilisés comme inscriptions funéraires. D’une façon très originale, J. Gómez Pallarès a remarqué dans le finale de l’Énéide racontant la mort de Turnus (É. XII, 919-952) la présence de termes employés par ailleurs dans les épitaphes lapidaires, celles qui concernent des fins prématurées. Il prouve que Virgile a pu connaître certaines de ces épitaphes et pense qu’il a pu être influencé par elles. Il suggère que si Virgile a utilisé cette phraséologie, c’est que pour l’épicurien qu’il a été, le jeune prince, au moment de son décès, n’a pas encore atteint l’ataraxie et que par conséquent sa mors peut être dite immatura. Certes, on se demande parfois s’il ne surinterprète pas un peu, mais son hypothèse est séduisante !

L’ouvrage se termine par un index des auteurs classés par périodes chronologiques de l’antiquité à l’époque actuelle. On regrettera qu’il n’y ait pas de bibliographie formelle (figure seulement une liste d’usuels d’une page). On regrettera également que certains travaux français n’aient pas été utilisés. Par exemple, p. 80-81, traitant du fragment d’Accius « illum defendere nisi sunt », R. Carande Herrero, dans sa contribution consacrée aux « problemas métricos », rapporte que certains l’attribuent à une Tmuvre épique et d’autres à une pièce dramatique ; on est étonné qu’elle ne se réfère pas à l’édition magistrale d’Accius, oeuvres (fragments), Paris, Les Belles Lettres, 1995, par J. Dangel qui fait de ces quelques mots le fr. V des Annales (p. 264) et le commente p. 391 en renvoyant en particulier au grand métricien universellement reconnu qu’est J. Soubiran (non utilisé dans le livre dont nous rendons compte). Lorsque J. Gómez Pallarès se demande en substance, p. 292, si le « travail de sape que Lyne met en évidence chez Horace vis-à-vis d’Auguste n’a pas existé aussi chez Virgile », on pense immédiatement aux travaux de J.-Y. Maleuvre ou à J.-P. Brisson, Rome et l’âge d’or. De Catulle à Ovide, vie et mort d’un mythe, Paris, 1992 — pour ne rien dire de J. O’Hara, Death and the Optimistic Prophecy in Vergil’s Aeneid, Princeton Univ. Pr., 1990 — sur la cacozelia du Mantouan (déjà dénoncée dans Suétone, uita Verg. p. 65 !) Pourquoi F. Socas ne cite-t-il pas les recherches de V. Zarini à propos de Corippe p. 47 ?

Mais que ces menus reproches n’occultent pas le fait qu’on a affaire à un excellent travail, qui apporte beaucoup d’idées neuves, ce qui n’est pas toujours le cas des publications de ce genre. On peut imaginer qu’au moment de traiter de ces « paulo minora », les congressistes, pour jouer avec les mots, ont repris le souhait du premier vers de la quatrième Bucolique de Virgile : paulo maiora canamus ; s’ils l’ont fait, ils ont été exaucés, car sur des poésies un peu plus petites, ils ont dit des choses plus importantes que d’autres critiques !

Lucienne Deschamps